JLAR  1999

 

 

 

Sommaire

 

SDRA

Prise en charge du choc septique: quoi de neuf?

Auteurs : Dr Benoît Tavernier

Service d'Anesthésie Réanimation Chirurgicale 2, 
Hôpital Claude Huriez, CHRU de Lille

 

Résumé

      En 1999, le traitement du choc septique repose toujours sur la prise en charge des défaillances d'organe (en premier lieu, cardio-vasculaire et respiratoire), l'antibiothérapie et, éventuellement, l'éradication (chirurgicale ou radiologique) des foyers infectieux.

Le traitement symptomatique de la défaillance hémodynamique a fait l'objet de récentes conférences de consensus [1,2]. Chez l'animal, son efficacité a été démontrée en terme d'amélioration de la survie [3]. En clinique, tout le monde s'accorde à débuter le traitement par le remplissage vasculaire dans le but de corriger l'hypovolémie et "d'optimiser" la précharge du ventricule gauche, mais personne n'a réellement validé un niveau optimal de remplissage.
Dans ce cadre, l'intérêt du cathéter de Swan-Ganz reste discuté [4]. Si l'on considère que l'expansion volémique est efficace tant qu'elle augmente le débit cardiaque (et qu'en tous cas, elle est inutile, voire délétère, dès qu'elle ne l'augmente plus), le meilleur indice d'évaluation de la précharge du ventricule gauche pourrait être, chez le patient en ventilation contrôlée, la mesure des variations de la pression artérielle systolique plutôt que celle de la pression artérielle pulmonaire d'occlusion ou de la surface télédiastolique du ventricule gauche mesurée par échocardiographie transoesophagienne [5].

    Il n'y a toujours pas d'argument majeur pour choisir entre colloïdes et cristalloïdes [6]. La catécholamine permettant d'obtenir le plus régulièrement le rétablissement d'une pression de perfusion suffisante semble être la noradrénaline [2,7].

     Les tentatives d'augmentation systématique du transport en oxygène à des valeurs dites "supraphysiologiques" ne sont plus recommandées dans le choc septique [8,9]. Les critères d'efficacité du traitement restent l'amélioration des signes cliniques, la reprise de la diurèse et la correction d'une hyperlactatémie.

    La mesure du C02 gastrique par tonométrie, proposée comme indice de perfusion régionale splanchnique, permettrait d'analyser l'adéquation entre apport et consommation d'O2 au niveau muqueux gastrique. Pour des valeurs identiques pression artérielle et de débit cardiaque, les catécholamines altèrent de façons différentes ce paramètre.
L'adjonction de dobutamine à la noradrénaline semble ainsi élever sélectivement le débit sanguin muqueux gastrique, suggérant un effet propre vasodilatateur sur la microcirculation gastrique [10,11]. Le C02 gastrique reste cependant encore à valider comme objectif de réanimation.

    L'hypotension artérielle est au moins en partie liée à une hyperproduction de monoxyde d'azote (NO).
De fait, l'administration d'inhibiteurs de la synthèse du NO (résultat vérifié dans un essai de phase Il ayant inclus 312 Patients), de solutions d'hémoglobine libre (qui capte le NO) ou de bleu de méthylène (qui bloque la guanylate cyclase, l'enzyme-cible du NO) augmente régulièrement la pression artérielle au cours du choc septique "réfractaire". Cependant, un essai de phase III testant le L-NMMA (inhibiteur de la synthèse du NO) a dû être stoppé en raison d'une surmortalité dans le groupe L-NNMA par rapport au groupe contrôle (résultats non publiés).

    Après que l'inutilité des glucocorticoides, administrés à fortes doses lors de la phase initiale du choc septique, ait été démontrée [12], l'efficacité sur le plan hémodynamique de l'hydrocortisone à dose modérée pendant plusieurs jours a été prouvée dans plusieurs travaux récents, en particulier lorsque le choc nécessite des doses élevées de catécholamines [13,14]. Ces effets sont indépendants de toute insuffisançe surrénalienne, absolue ou relative. Un travail portant sur 41 patients suggère même une diminution de la mortalité à 28 jours [131. Une étude, ayant inclus 300 patients et dont les résultats seront connus dans les prochains mois, confirmera ou non ces résultats.

    De nombreux travaux expérimentaux ont permis d'identifier les médiateurs probablement impliqués dans la physiopathologie du choc septique. Ces travaux ont permis la mise au point de molécules capables, sur différents modèles expérimentaux, de prévenir ou d'atténuer la gravité du choc septique. Les dix dernières années ont été celles des études cliniques de phase III, prospectives, randomisées, en double aveugle, multicentriques et le plus souvent internationales testant la capacité de ces molécules à réduire la mortalité au 28eme jour de la maladie (critère de référence).

 Malheureusement, aucun des essais publiés à ce jour (plus de vingt, ayant évalué des anticorps anti-endotoxines, anti-TNF, des antagonistes de la bradykinine, des prostaglandines, des récepteurs de l'interleukine- 1, des récepteurs du PAF ou encore l'administration de récepteurs solubles du TNF) n'a pu montrer d'efficacité sur ce critère de jugement [15]. L'analyse rétrospective de plusieurs études a suggéré qu'une efficacité existait dans certains  groupes de patients, mais quand ces hypothèses ont été testés dans de nouvelles études prospectives, elles n'ont pas été vérifiées. D'autres études sont actuellement en cours, testant des molécules ayant elles aussi prouvé leur efficacité chez l'animal ou, mieux, chez l'homme dans des études de phase Il (dont l'objectif n'est pas nécessairement d'obtenir une réduction de la mortalité). Dans ce cadre, on trouve surtout les inhibiteurs de la coagulation (l'antithrombine III [étude de phase III devant inclure 2300 patients en cours], la protéine C activée et i'inhibiieur de la voie du facteur tissulaire).

D'autres thérapeutiques à visée physiopathologiquc, comme l'administration de pentoxifylline [16], d'immunoglobulines polyvalentes [17] ou l'hémofiltration continue [18] nécessiteraient des études supplémentaires incluant un grand nombre de malades afin de valider leur intérêt potentiel ou de déterminer des groupes de patients susceptibles de bénéficier de ces traitements.

    A ce jour, les traitements à visée physiopathologiques n'ont donc pas répondu aux espoirs initiaux. Ceci suggère qu'agir à un seul niveau des multiples cascades mises en jeu ne peut modifier le pronostic du sepsis sévère. D'autres explications peuvent cependant être avancées. Ainsi, la méta-analyse (méthodologiquement critiquable) des études de phase III ayant évalué ces différentes molécules "anti-inflammatoires" montre un effet favorable des traitements équivalent à une réduction de la mortalité de l'ordre de 10 à 15 % [15]. Autrement dit, les études publiées n'auraient pas inclus assez de patients pour mettre en évidence l'efficacité du produit évalué. Il est aussi possible que la mortalité à 28 jours ne soit pas le critère de jugement idéal; les causes de décès au décours du choc septique ont changé [19] et un certain nombre de patients décèdent secondairement malgré la guérison apparente du choc septique. Un critère d'évaluation plus pertinent pourrait être obtenu à partir de la persistance (ou non) des défaillances viscérales [20]. De façon intéressante, il semble que la mortalité du choc septique ait diminué lentement mais régulièrement au cours des dernières décennies, notamment au cours des dix dernières années (à gravité équivalente) [211. Il reste maintenant àsavoir si la mortalité tardive des malades de réanimation peut encore être réduite grâce à l'amélioration de la prise en charge initiale et/ou secondaire du choc septique.

Références

 1. Remplissage vasculaire ANDEM SRLF SFAR 1997

2. RéanUrg 1996;5(4bis)

3. AmJPhysiol 1990,259(8t2):H14407

4. JAMA 1996;276:889-97

5. Anesthesiology 1998;89:13l3-21

6. Cnt Care Med 1999;27:20040

7. Cnt Care Med 1996;24:525-37

8. Cnt Care Med 1996;24:517-23

9. Chest 1999;115:453-61

10. Intensive Care Med 1997;23:282-87

11. CritCareMed 1998;26:1749-58

12. Cnt Care Med 1995;23:1294

13. Cnt Care Med 1998;26:645-50

14. Cnt Care Med (in press)

15. CritCareMed 1998;26:l927-31

16. Arch Surg 1998;133:94-100

17. Arch Surg 1991;126:236-40

18. Cnt Care Med 1998;26:1940-1

19. Cnt Care Med 1996;24:1441-47

20. Cnt Care Med 1995;23:989-91

21. Cnt Care Med 1998;26:2078-86